Pneumonie franche lobaire aiguë
Chez une femme enceinte
Chez une femme enceinte
Mon premier cours d’homéopathie m’avait tellement déconcerté que j’avais failli sortir avant la fin. L’épistaxis vicariante de Bryonia avait eu raison de mon fond d’esprit cartésien, c’en était trop, totalement ridicule et inacceptable. J’avais pris une demi-page de notes manuscrites sur Bryonia: « inflammation des séreuses (péricarde, plèvre, synoviales), aggravation au moindre mouvement, besoin d’air frais, latéralité droite ».
Le lendemain matin, je me retrouvai devant un patient souffrant depuis trois mois d’une péricardite et d’un épanchement pleural droit, pour lequel ni le cardiologue ni moi-même ne pouvions rien faire. « C’est quand même malheureux, je reste au lit sans bouger, ça finit par s’améliorer, et dès que je me lève, au moindre mouvement, ça recommence! Je ne peux plus rien faire!»
Je me suis dit: « c’est bizarre, ça me rappelle vaguement quelque chose… ». J’ai retrouvé ma demi-page manuscrite que je n’avais pas encore jetée, et puisqu’il n’y avait rien d’autre à faire, j’ai tenté l’homéopathie. Dose ou globule? Haute ou basse dynamisation? Je n’en avais pas la moindre idée, et j’ai prescrit au hasard une dose de Bryonia 9CH. « Je vous donne ça, bon, on verra bien ce que ça fera. » 48 heures de douleurs précordiales, courbatures généralisées, puis plus rien, absolument plus rien, au point que l’échographie cardiaque pratiquée quatre jours après la dose n’a plus rien retrouvé (deux jours avant Bryonia, il y avait à la radiographie pulmonaire un épanchement péricardique conséquent et un épanchement pleural droit évalué à 1,5 litres).
Le patient était stupéfait, mais pas autant que son médecin. Ce truc de charlatan avait l’air de fonctionner pour de vrai! Conclusion (erronée) d’un débutant: « Bryonia est efficace dans les péricardites », j’en avais donc acheté une dose pour le cas où… Lequel ne s’est pas fait attendre: 15 jours plus tard, en garde de nuit, une magnifique péricardite, avec douleur au moindre mouvement, le patient fébrile plié en deux avec les deux mains sur la poitrine, « ne me parlez pas, ne me faites pas bouger… » « Crr… Crr… » à l’auscultation, sous décalage de PQ à l’ECG. Je lui ai donné une dose de Bryonia 15CH avant de l’hospitaliser, en précisant sur mon courrier qu’il devrait être guéri rapidement. L’interne de cardiologie a parait-il beaucoup ri en lisant ma lettre, et j’ai reçu 15 jours plus tard le courrier suivant: « devant la disparition de symptômes en 48 heures, le diagnostic de péricardite a été récusé ».
A partir de là, j’ai étudié l’homéopathie à fond, et j’ai enrichi ma trousse d’urgence d’une dizaine de remèdes étudiés en début de première année.
Et nous voilà au mois de janvier, en pleine épidémie de grippe. Je suis appelé pour une femme enceinte de 6 mois qui a la grippe, 40°, et qui ne peut plus bouger. J’arrive chez elle à trois heures du matin, c’est une garde chargée. « C’est la grippe, j’ai eu un grand frisson à claquer des dents ce soir, et la fièvre n’arrête pas de monter » Elle tousse rauque, ça lui fait tellement mal qu’elle doit se tenir la poitrine des deux mains à chaque quinte.
Je l’examine, elle a l’air un peu sonnée avec une température à 40°, un pouls rapide, la peau sèche, pas de raideur de nuque, « assoyez-vous », (et aussitôt, elle tousse rauque), percussion de la poitrine, poumon gauche: « pom, pom pom, pom », bien creux, poumon droit: « poc, poc, poc, poc », mat! Une matité comme je n’en n’avais pas entendu depuis mon internat! Je pose mes deux mains à plat sur son dos. « Dites 33! », et là, stupeur, du côté droit ça vibre sous les doigts, franchement. J’écoute avec mon stéthoscope: poumon normal à gauche, silence respiratoire à droite avec crépitants en périphérie. Je n’en reviens pas: une pneumonie comme dans les livres, même pendant mon internat, je n’en avais jamais vu d’aussi caractéristique. Il ne manque que le souffle tubaire et l’expectoration rouillée.
J’explique à la patiente que son état est grave et qu’elle doit être hospitalisée en urgence.
Elle refuse, elle ne veut pas partir de chez elle. J’essaie de négocier, je lui explique, rien à faire. Je me prépare à lui faire un antibiotique injectable, elle refuse: « je ne peux pas prendre d’antibiotiques, je suis enceinte ». Toutes mes tentatives pour lui expliquer ce qu’elle risque restent vaines, elle est totalement bornée, hermétique à toute explication.
A ce moment là, un enfant de deux ans se met à pleurer à pleins poumons.
« Et lui, là, si au moins il pouvait me foutre la paix! Je ne peux pas m’occuper de lui, dès que je bouge, je tousse! »
Et là, je pense à Bryonia. J’en ai dans ma valise, l’homéopathie, elle ne connaît pas mais elle veut bien. Je lui laisse le tube, je suis épuisé et je repars en lui disant que je la rappellerai demain matin.
Je rentre à cinq heures, je m’endors, et à sept heures tapantes, je me réveille en sursaut: « la femme enceinte! » Je réalise que je ne lui ai même pas fait signer de décharge, une pneumonie chez une femme enceinte soignée par homéopathie, ce sera indéfendable devant les juges. Je lui téléphone, elle n’est pas inquiète, elle se sent mieux, elle n’a plus que 38°, elle a moins mal quand elle tousse… Je ne suis pas rassuré et lui annonce que je passerai en fin de journée.
Le soir même, je la revois en visite: elle n’a plus de fièvre, elle ne tousse pratiquement plus, je l’examine: poumon gauche « pom, pom, pom, pom », poumon droit « pom, pom, pom, pom ». Je n’arrive pas à y croire! Les vibrations vocales sont normales et symétriques, l’auscultation est normale.
Pour la patiente, ce n’était qu’une grippe et elle a eu bien raison de rester chez elle. Je raisonne à voix haute: « mais alors, c’est l’homéopathie qui… » Pour l’homéopathe débutant que je suis, la guérison complète d’une pneumonie franche lobaire aiguë en 24 heures est tout simplement inconcevable, impossible. A ce moment là, j’entends la voix de son mari, qui ne s’était encore jamais manifesté: « moi, de toutes façons, je ne crois pas à l’homéopathie! »
A dater de ce jour, m’attendaient quelques années d’échecs ou de demi-succès avant de parvenir à maîtriser l’outil, mais j’avais eu « la preuve » qui m’avait encouragé à persévérer.
Ecole Homéopathie Auvergne Rhône-Alpes
11 Rue Doppet
73000 CHAMBERY